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Reprise des cours : quels risques juridiques encourus ?

Reprise des cours : quels risques juridiques encourus ? - SNCL

Dans le contexte de réouverture des établissements scolaires les 11 et 18 mai prochain, le SNCL fait le point avec vous sur les risques juridiques encourus par les agents de l'Education nationale.

De quels risques parle-t-on ? 

 

On pourrait résumer la situation ainsi : à situation inédite, risques inédits. La plupart des agents de la fonction publique vont se retrouver, dans les jours qui viennent, à devoir prendre des décisions qui vont engager leur responsabilité. Ces décisions seront inévitablement criticables et attaquables, par les usagers du service public comme par d'autres agents. Elles se traduiront en justice par des plaintes d'ordre civil, et d'autres d'ordre pénal. Les enseignants ne seront pas épargnés, principalement par des attaques de parents (sur le plan pénal) ou de leur propre hiérarchie.  

 

Que cherchera-t-on à reprocher à un enseignant ?

 

Pour les parents dont un enfant scolarisé sera contaminé par le covid-19 durant les semaines qui viennent, la tentation sera grande de chercher une indemnisation par voie judiciaire. Dans le contexte actuel, la voie civile sera probablement sans issue de par la loi d'urgence qui semble prête à couvrir la plupart des décideurs. A moins d'attaquer l'Etat ou le gouvernement lui-même, c'est donc plutôt le scénario d'une responsabilité pénale qui attirera les parents (s'ils sont bien conseillés par un avocat). Dans ce contexte, ils chercheront à démontrer la responsabilité personnelle de l'enseignant (en tant que personne et non en tant que fonctionnaire exécutant) dans la contamination de leur enfant. 

Pour la hiérarchie, il est probable que la plupart des dossiers concerneront des collègues qui auront refusé d'appliquer les consignes ou d'assurer des missions. 

Enfin, d'autres procédures concerneront aussi les collègues qui auront usé de leur droit de retrait. Pour eux, la justice devra déterminer si cet usage était justifié ou non.

 

Comment limiter les risques de poursuite à notre encontre ? 

 

La première chose à savoir est qu'un agent, fonctionnaire ou contractuel, au service de l'Etat a une obligation de moyen, et non de résultats. Pour un enseignant, celui-ci est tenu d'appliquer le protocole sanitaire qu'on lui a confié. Il n'est pas de sa responsabilité que ce plan soit utile ou intelligent. La meilleure façon de se protéger de l'essentiel des poursuites possibles consiste donc pour lui à appliquer les consignes reçues, et à conserver des preuves de cette application. Conservez des copies des plans d'hygiène, protocoles et autres mails de directives reçus. Prenez des photos des classes dans lesquels vous intervenez, des photos de vous équipé.e et protégé.e, etc. 

 

Puis-je faire valoir mon droit de retrait et comment ?

 

Que vous soyez titulaire ou non, personne ne peut vous ôter votre droit de retrait. Vous êtes toujours en mesure de l’invoquer, sans vous en justifier. Les documents administratifs que vous avez peut-être reçus et qui semblent dire le contraire présentent seulement un point de vue, une interprétation mais il ne revient pas à l’administration de dire si votre droit de retrait est justifié ou non  ; cela revient à la justice.

 

En revanche, si vous décidez de l’invoquer, il devra toujours être établi par la justice a posteriori s’il était justifié ou non, et c’est là que vous devrez défendre votre position (et votre employeur ou votre hiérarchie la sienne).

 

Si votre droit de retrait est établi comme justifié, vous n’aurez pas de problème. S’il est établi qu’il était injustifié, vous encourez une retenue sur salaire et une sanction disciplinaire, mais ceci n’est pas le plus à craindre. Le plus dangereux est que vous serez alors considéré comme coupable d’abandon de poste ayant potentiellement mis en danger la vie d’autrui (pour un enseignant par exemple, celle des élèves dont vous auriez dû avoir la charge lorsque vous avez invoqué votre droit de retrait).

 

 C’est pourquoi nous vous encourageons à plusieurs précautions dans le cas où vous voudriez tout de même invoquer votre droit de retrait :

 

 - D’abord, ne le faites qu’après vous être rendu au moins une fois sur les lieux de votre travail. En effet, si vous l’invoquiez dès à présent avant le 11 ou le 18 mai, sans même vous rendre à votre poste, la justice considérera quasi automatiquement que vous avez fait un procès d’intention à votre employeur et jugé a priori que les conditions de sécurité ne seraient pas réunies, sans même vous donner la peine d’aller le constater par vous-même. Ces éléments suffiront à presque tous les juges pour clore aussitôt le dossier défavorablement et considérer votre droit de retrait injustifié.

 

- Rendez-vous donc sur place et au contraire profitez-en pour accumuler un maximum de preuves et de pièces qui vous serviront pour vous défendre et justifier votre droit de retrait : récupération des protocoles écrits, photos des sanitaires, de la classe, des comportements à risques, des manquements à l’hygiène etc.

 

- Ne restez pas isolé mais appuyez-vous sur d’autres collègues qui comme vous accumuleront des preuves de ces problèmes et pourront ainsi enclencher une action collective de retrait.

 

- Enfin, n’usez si possible de votre droit de retrait qu’une fois la première journée de travail terminée ou une fois que vous n’avez plus aucune charge à votre emploi du temps. Ainsi, même si votre cas apparait injustifié à la justice ultérieurement, votre abandon de poste n’aura engagé que vous-même et n’aura mis en danger aucun élève. On ne pourra pas vous poursuivre pour abandon de poste et les parents ne pourront pas se retourner contre vous pénalement sur ce motif.

 

- Lorsque vous contactez votre chef d’établissement et signifiez votre droit de retrait, faites-le si possible toujours en présence d’un tiers témoin. Notez la date et l'heure exacte.

 

 

Pourquoi certains disent que le covid-19 ne justifie pas un droit de retrait ?

 

  

La bataille juridique ne fait que commencer et son issue dépendra probablement de l'ampleur du phénomène et du nombre de cas concernés ; à l'heure actuelle le doute persiste à cause de la formulation du Code du travail qui considère un droit de retrait légitime face à un danger "grave et imminent". Si personne ne remet en cause le fait que le covid-19 soit grave, certaines lectures juridiques ne le considèrent pas comme "imminent", puisque c'est une maladie dont le processus de contamination est mal connu, qui n'est mortelle que dans un faible pourcentage de cas et souvent après de longues semaines d'hospitalisation.
 

La responsabilité des enseignants peut-elle évoluer sur le plan civil ?

 

Oui, sur ce domaine rien n'est encore fixé, principalement à cause de la loi d'urgence en cours d'examen entre le Sénat et l'Assemblée nationale. Une bataille politique est actuellement engagée entre le gouvernement et les représentants des assemblées (y compris certains de son propre parti) sur certains amendements qui pourraient tout changer en matière de responsabilité des maires, des employeurs, des préfets et de tous les fonctionnaires, y compris les enseignants. En fonction de la version finale du texte qui sera effectivement voté, la voie de recours civil sera plus ou moins ouverte aux plaignants. Les enseignants, comme tous les agents, seront donc plus ou moins exposés à des poursuites sur ce plan. Le SNCL vous tiendra informé jour par jour sur ce point. Abonnez-vous à nos réseaux sociaux pour ne rien manquer