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Choc des savoirs : affichage politique et moyens inexistants

Choc des savoirs : affichage politique et moyens inexistants - SNCL

Retrouvez notre dossier complet sur le choc des savoirs, pour tout comprendre des enjeux multiples de cette réforme et du manque de moyens sidérant qui l'accompagne.

Ces deux derniers mois, l’Education nationale a fait l’objet d’un déferlement d’annonces de réformes, atteignant un niveau rarement égalé. Si elles ont le mérite de remettre l’éducation au cœur des débats, elles s’inscrivent avant tout dans une stratégie politique qui pousse le gouvernement à la précipitation. Ainsi, bien que certaines de ces annonces nous semblent aller dans le bon sens, reprenant parfois des mesures défendues par le SNCL depuis plusieurs années, nous alertons sur les délais bien trop courts et le manque total de moyens qui les vouent à l’échec. 

 

Pour bien comprendre l’ampleur du problème, voici d’abord un résumé exhaustif et synthétique de toutes les mesures annoncées, qui, cumulées, pourraient affecter notre profession de manière profonde. 

 

Deux discours grandiloquents pour une avalanche de réformes

 

Le premier volet a été dévoilé par Gabriel Attal lors de sa conférence de presse du 5 décembre 2023, et comprend les mesures du sobrement intitulé « Choc des savoirs ». Nombreuses, elles sont réunies en trois axes : 

  • L’axe 1, qui se targue de « mieux soutenir les professeurs », va surtout dans le sens d’un renforcement nécessaire des savoirs fondamentaux en mathématiques et en français, ainsi que d’une clarification bienvenue des programmes et des compétences. Il prévoit :
    • La précision des programmes scolaires par l’ajout d’objectifs annuels (parfois existants, mais pas suffisamment clairs).
    • L’introduction de la « méthode de Singapour » dans l’apprentissage des mathématiques, et la précision des points à travailler dans les programmes de langues.
    • La refonte du socle commun de compétences en l’articulant de manière plus évidente avec les différentes disciplines.
    • La mise en place de manuels labellisés « Education nationale », qui seront obligatoires en mathématiques et français dans le 1er degré, et le financement des manuels correspondants en CP et CE1. 

 

  • L’axe 2, qui souhaite « adapter l’organisation des enseignements aux besoins de chaque élève », implique des changements plus conséquents, notamment pour le collège. Il prévoit : 
    • L’organisation des cours de mathématiques et de français en groupes de niveau flexibles, d’abord en 6ème et 5ème pour la rentrée 2024, puis pour tous les niveaux à partir de la rentrée 2025. 
    • Généraliser l’accueil de 8 h à 18 h à tous les collèges de REP et REP+, avec de l’aide aux devoirs, de l’enseignement artistique et culturel et de l’éducation physique et sportive.
    • Expérimenter un renforcement dans certaines disciplines pour les élèves en très grande difficulté en 6e et en 5e. Peu d’informations ont été communiquées sur ce point jusqu’à présent.
    • En lycée, utiliser l’intelligence artificielle pour proposer aux élèves de 2nde des exercices personnalisés en mathématiques et en français ; enseigner ces deux disciplines en 2de et en 1re professionnelles en groupes à effectifs réduits ; renforcer le volume horaire des enseignements généraux en terminale professionnelle.

 

  • L’axe 3 consiste à « rehausser le niveau d’exigence et d’ambition » pour les élèves. Il prévoit de :
    • Réinstaurer le redoublement sur décision du conseil de classe
    • Rendre le brevet obligatoire pour accéder au lycée, que ce soit en filière générale (ce qui parait cohérent et souhaitable pour éviter d’y envoyer des élèves qui n’ont pas le niveau), mais aussi en filière professionnelle (ce qui est plus problématique). 
    • Instaurer des classes préparatoires à la seconde pour les élèves qui n’auraient pas eu le brevet la première fois.
    • Supprimer les correctifs académiques des notes au brevet et au baccalauréat – on ne saurait se réjouir de ce retour à ce qui toujours aurait dû être.
    • Refondre le contrôle continu pour le brevet : ce sont les notes qui compteront (pour 40 % de la note finale et 60 % pour les notes d’examens) et non plus les tranches de compétences.

 

Le deuxième volet de mesures a été annoncé par le Président de la République, lors de sa conférence de presse du 16 janvier 2024, durant laquelle il a abordé, entre autres, différents points relatifs à l’éducation et à la jeunesse. D’emblée on peut se questionner sur l’intérêt d’annoncer ces mesures en deux temps, sauf à croire qu’elles relèvent simplement d’une nécessité de communication politique et d’une absence totale de projet d’ensemble. Ont été ainsi annoncés, en supplément : 

  • le doublement de l’horaire d’enseignement moral et civique dès la classe de cinquième, avec en appui, les grands textes fondateurs de la Nation ;
  • le renforcement de l’éducation artistique et culturelle avec l’obligation d’une pratique du théâtre à la rentrée prochaine dès le collège et le retour de l’histoire des arts à la rentrée prochaine en collège et en lycée ;
  • l’expérimentation d’une tenue commune dans 100 établissements volontaires cette année et une généralisation de cette expérimentation en 2026, si celle-ci est concluante ;  
  • l’institution d’une cérémonie de remise des diplômes dans les collèges et les lycées dès cette année ;
  • la généralisation du service national universel en seconde.

 

Une impréparation et un manque de moyens sidérants 

 

Si certaines de ces mesures relèvent avant tout de l’affichage politique ou paraissent anecdotiques (le retour de l’uniforme ne sera sans doute pas la mesure qui sauvera notre système éducatif – même son effet supposé sur le harcèlement est remis en cause par plusieurs études), d’autres sont susceptibles d’apporter des changements profonds à notre Ecole. L’introduction des groupes de niveau au collège en français et en mathématiques est l’une d’entre elle. 

 

Cette mesure est soutenue par notre syndicat depuis de nombreuses années, comme en témoigne une commission syndicale sur les alternatives au collège unique créée en 2000, ainsi que les rapports de préconisations qu’elle a publiés jusqu’en 2017. Elle figure par ailleurs dans nos motions syndicales, réactualisées au congrès de Lyon de juin 2023. En effet les groupes de niveau – ou peut-être devrait-on les appeler groupes de besoins –, envisagés de manière ciblée (seulement sur quelques disciplines, et pas forcément sur toutes les heures dédiées), perméable (il faut que les élèves puissent évoluer d’un groupe à l’autre selon leurs progrès), et à effectifs réduits, constituent une piste sérieuse pour permettre à chaque élève de déployer son plein potentiel. 

 

Pourtant, la traduction concrète de cette mesure et son efficacité sont menacées par deux éléments : la précipitation de sa mise en place et le manque de moyens. En effet, alors qu’elle est prévue pour la rentrée 2024 en 6ème et en 5ème, les collègues de collège ont pu constater avec stupeur qu’aucuns moyens supplémentaires n’étaient accordés pour sa mise en place dans la plupart des DHG parvenues aux établissements courant janvier. Ainsi, les équipes étaient invitées, au risque de se diviser, à récupérer des heures sur des dispositifs existants, tels que des demi-groupes en science ou en langues, ou encore à y employer d’office la majeure partie des heures d’autonomie de l’établissement, les vidant ainsi de leur sens. Exit également l’heure de soutien et approfondissement en 6ème, pourtant mise en place à la rentrée 2023 et déjà supprimée avant d’avoir pu faire ses preuves, alors que de nombreux collègues s’étaient investi pour la construire de manière approfondie.

 

Par ailleurs, le projet de décret concernant ces groupes de niveau n’est étudié au CSE que le 8 février, alors même que des questions déterminantes pour la mise en place des groupes de niveau sont sans réponses au moment de la constitution des DHG : quels seront les effectifs prévus dans chacun des groupes ? Le ministère, qui prévoit trois groupes de différents niveaux pour deux classes, exigera-t-il cette organisation y compris dans les petits collèges ruraux, où il n’y a souvent que deux professeurs de français et de mathématiques ? Autant de questions auxquelles la ministre Amélie Oudéa-Castera a bien laborieusement tenté de répondre lors d’une visio-conférence nationale avec les chefs d’établissement le mardi 30 janvier, sans que des directives claires permettent de les trancher. Elles sont pourtant essentielles, puisqu’elles conditionnent en grande partie nos conditions de travail et celles d’apprentissage des élèves, et finalement l’efficacité réelle de ces groupes de niveau.

 

Le même flou artistique demeure pour bon nombre des mesures annoncées par nos gouvernants, qui doivent pourtant prendre effet dès la rentrée 2024 : comment sera financé et organisé le doublement des heures d’EMC ? Ainsi que le théâtre rendu obligatoire dans tous les collèges, ou encore l’enseignement d’histoire des arts ? Et qui assurera ces heures d’enseignement ? Quels moyens seront déployés pour la mise en place des classes préparatoires à la seconde, à destination des élèves n’ayant pas eu leur brevet la première fois ? Le ministère compte-t-il une fois de plus sur le recrutement massif de contractuels briefés dans l’urgence, alors même qu’il peine déjà à en recruter dans bon nombre de disciplines ? Il ne pourra en tout cas compter sur des néo-titulaires, puisque le nombre d’inscrits aux concours continue cette année encore de décroitre, preuve que la crise d’attractivité qui frappe notre métier est loin d’être résolue. 

 

Dans ces conditions de précipitation et sans moyens supplémentaires, ces mesures annoncées pourraient bien finir en vœux pieux, ou pire, se traduire par une mise en place au rabais qui viendrait finalement détériorer notre système éducatif.

 

Ainsi le SNCL comprend la profonde colère des équipes pédagogiques, auxquelles on demande toujours plus, sans leur donner les moyens de ces ambitions. Nous demandons un moratoire d’un an sur ces réformes, afin de préparer leur mise en place dans de bonnes conditions, et un budget augmenté en conséquence à la rentrée 2025-2026.

 

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