La revalorisation aura bien lieu
Ceci pourrait sonner comme une évidence, et pourtant de récents propos du Président de la République, suivis par les imprécisions de son ministre ont laissé imaginer que les promesses formulées à la veille du second tour de l'élection présidentielle étaient prêtes à se dégonfler... Au fil des déclarations, apparaissait le risque de voir les 10% de revalorisation inconditionnelle promis finalement englober les mesures du précédent quinquennat tout en se bornant aux agents ayant entre 1 et 10 ans de carrière : deux pirouettes inacceptables pour le SNCL et qui semblent aujourd'hui bel et bien démenties, le ministère ayant finalement reconnu que "des signaux devaient être donnés de façon graduée à tous".
635 Millions en 2023, 1,9 Milliard en 2024
Même s'il faut encore prendre avec précaution ces chiffres, il faut reconnaitre que l'argent est là. 635 millions d'euros fléchés à la seule revalorisation inconditionnelle des personnels enseignants pour les mois de septembre à décembre 2023 (soit 4 mois), et 1,9 milliards en année pleine pour 2024. Il est toutefois regrettable de constater que cette revalorisation nécessaire et urgente, d’abord prévue pour le 1er janvier 2023, ne sera finalement effective que dans un an…
À noter que cet argent ne se confond pas avec la revalorisation du point d'indice (qui dispose de son 1,7 milliard propre) ni avec la prime d'attractivité, et qu'une enveloppe à part est prévue pour les personnels non enseignants. De même, l'enseignement supérieur dispose de son propre budget. C'est donc bien 1,9 milliard annuel qu'il s'agit maintenant de répartir entre les 859 000 enseignants du premier et du second degré, et dont les bénéfices seront reçus par chaque agent concerné dès septembre 2023.
184 euros par enseignant et par mois : le prix de l'urgence
Avec plus de 4000 postes d'enseignants non pourvus à la dernière rentrée, nos métiers n'attirent plus. En cause (entre autres mais pas seulement évidemment) le déclassement social subi par notre profession depuis 40 ans, avec une perte de pouvoir d'achat continue.
Si la somme est maintenant connue (184 euros en moyenne par professeur et par mois), reste à en préciser les modalités. C'est pour cette raison que le SNCL, reçu au ministère de l'Education nationale, a fait entendre son point de vue en compagnie des autres syndicats de sa fédération, le SIES et le SAGES : pour nous, l'idée d'un effort supérieur sur les débuts de carrière est légitime pour répondre aux difficultés de recrutement, mais cela ne peut se faire en portant trop préjudice aux agents déjà en poste qui méritent que leur grille salariale soit le reflet d'une véritable carrière, avec des perspectives notables d'amélioration de leur niveau de vie.
En effet, s’engager dans le fonctionnariat c'est faire, pour les professeurs, le sacrifice de nombreuses options professionnelles, tant la mobilité, la reconversion ou même les ruptures conventionnelles sont limitées au sein ou en dehors de l'EN. En contrepartie, il est indispensable que leur parcours indiciaire leur offre une progression salariale notable du début à la fin de leur carrière. Or les dernières revalorisations PPCR et de début de carrière ont eu pour effet pervers de lisser les salaires et d'amenuiser les différences d'échelon à échelon, tout en lésant les niveaux de rémunération des professeurs hors-classe ou agrégés qui ont été oubliés presque à chaque fois, sous prétexte qu'ils gagnaient déjà "suffisamment".
Le SNCL a aussi exprimé sa méfiance envers les augmentations unilatérales basées sur des pourcentages : car on sait que ces formes d'augmentation bénéficient logiquement aux salaires les plus hauts, c'est-à-dire ceux qui sont touchés par le moins d'agent et le moins longtemps, ce qui permet au ministère d'afficher des revalorisations statistiquement fortes, mais ne bénéficiant dans les faits qu'à très peu de personnes.
Le SNCL a voulu orienter le ministère vers des pistes de revalorisation alternatives aux seules valeurs indiciaires des échelons : en revalorisant la part fixe de l'ISOE d'un montant forfaitaire par exemple, cette prime étant touchée par la quasi-totalité des professeurs, on peut garantir qu'une partie de la revalorisation soit épargnée par les prélèvements sociaux (contrairement au salaire brut), ce qui permettrait in fine aux professeurs de recevoir un peu plus d'argent. Ce serait aussi une bonne façon de reconnaitre le travail croissant de suivi et d'orientation des élèves qui est réalisé par les professeurs (ce que rémunère l'ISOE). À la condition évidemment que des dispositifs équivalents soient prévus pour les catégories de personnels ne percevant pas l'ISOE fixe.
Le SNCL plaide enfin pour la révision complète de l’indemnité de résidence : la carte et le montant de cette indemnité, non révisés depuis des années, n’a plus de lien avec la réalité immobilière actuelle.
Les pistes du ministère
Le ministère a répondu être prêt à travailler sur trois leviers majeurs pour ce plan de revalorisation : l'aspect indiciaire, l'aspect indemnitaire, et la carrière.
Aspect indiciaire : réviser les grilles. Ce sera un passage obligé du plan, puisque l'objectif politique d'un traitement d'entrée de carrière à 2000 euros nets primes incluses (mais "hors heures supplémentaires" a précisé le ministère) s'il était tenu sans autre ajustement reviendrait à transformer les 7 premiers échelons de la classe normale des professeurs des écoles ou des certifiés en un échelon unique à 2000 euros pendant... quinze ans ! Ce n'est pas ce qu'on appelle une carrière... Le ministère a promis que les "enseignants ayant plus d'ancienneté gagneront plus que ceux qui viennent d'arriver" : c'est donc bien à une réévaluation de toutes les grilles, échelon par échelon, qu'il va falloir procéder, et sans que par amenuisement progressif, les milieux et les fins de carrière soient ignorés.
Aspect indemnitaire : ISOE, prime informatique. Une partie de la revalorisation passera par une réévaluation des primes. La hausse forfaitaire de l'ISOE présenterait quant à elle l'atout de bénéficier d'avantage aux bas salaires (donc aux entrées de grille), tandis que le doublement ou triplement de la prime informatique, en plus d'approcher un peu plus de la réalité des dépenses des professeurs en matériel informatique, aurait l'avantage de donner un coup de pouce plus rapide et plus visible au pouvoir d'achat des professeurs dès janvier 2024.
La carrière : un levier sensible. Ce n'est pas l'option la plus simple à mettre en place, et le ministère la redoute à la fois parce qu'elle peut avoir des effets financiers moins prédictibles et parce qu'elle est beaucoup moins flagrante que les autres voies de revalorisation. Pourtant, si le bénéfice ne saute pas si facilement aux yeux, les revalorisations de carrière peuvent apporter un gain sensible de pouvoir d'achat. Il pourrait ainsi s'agir d'augmenter le nombre de promotions à la hors-classe ou à la classe exceptionnelle chaque année, de réduire la durée de certains échelons ou encore de permettre aux inspecteurs de distribuer de plus grandes accélérations de carrière (et plus nombreuses) lors des rendez-vous professionnels.
Le SNCL est pour sa part favorable à la réduction de la durée des échelons, qui s'était considérablement allongée lors du plan PPCR les années passées.
Premier rendez-vous multilatéral, le 3 octobre
Dès le début du mois, les échanges avec l’ensemble des syndicats se sont amplifiés. Pour autant, le contenu concret du plan de revalorisation n’est toujours pas révélé. Le ministère, en attente du vote définitif du budget, doit aussi composer avec les velléités du Sénat d’infléchir ses orientations, certains sénateurs ayant déjà mis sur le tapis le sujet de la différenciation des salaires : une tendance à la rémunération à la carte qui fait son chemin parmi les politiques… Le récent usage du 49.3 par la première ministre a également coupé court à toute une série d’amendements proposés par les oppositions, dont certains auraient pourtant mérité d’être entendus (financement de la gratuité effective de l’école publique en diminuant les subventions à l’enseignement privé, augmentation du volume financier réservé à la revalorisation enseignante, etc.).
Pour le SNCL, si le compte n'y est pas encore, il serait inconséquent de dire que rien n'est fait sur ce budget pour l’éducation nationale. Pour une fois, le gouvernement semble avoir pris au moins partiellement la mesure des besoins. Toutefois, il est certain que cette revalorisation n'aura de sens que si, dans le même temps, le dégel du point d'indice se poursuit : sans quoi l'inflation rattrapera rapidement le bénéfice...
Après la revalorisation inconditionnelle, les missions complémentaires
On l’a bien compris, ce plan de revalorisation n’est qu’une partie du projet éducatif sur ce mandat : de l’autre côté, un « nouveau pacte » sera proposé aux enseignants volontaires afin d’accroitre leurs revenus en endossant des missions supplémentaires.
Alors qu’une récente étude ministérielle a révélé un temps moyen de travail hebdomadaire de près de 43h pour les enseignants (soit un peu plus que les moyennes constatées chez les autres cadres A de la fonction publique), le SNCL s’indigne du retour du vieux credo « travailler plus pour gagner plus ». L’épuisement professionnel est un des symptômes de la dégradation de la qualité de vie au travail des professeurs : comment imaginer que ce nouveau pacte soit une solution pour améliorer les choses ?
En outre, le ministre a choqué les équipes pédagogiques le 16 octobre dernier en sous-entendant que la surveillance de la cour de récréation devrait être incluse dans ces nouvelles missions, avant de se dédire quelques jours plus tard.
Mais alors de quoi parle-t-on ? Le principal enjeu ministériel est de réduire les absences d’enseignants, c’est pourquoi l’organisation des stages de formation hors des heures de cours et les remplacements de courte durée et au pied levé des collègues sont ses objectifs majeurs. En d’autres termes, nous devrions assister à une augmentation de l’indemnisation lorsqu’un stage est suivi pendant les congés plutôt que sur le temps scolaire, et un accroissement des HSE pour financer un dispositif de suppléance interne dans les collèges et lycées. Reste à espérer que les professeurs des écoles (qui répartissent déjà sur leurs classes les élèves de leurs collègues absents) seront aussi rémunérés pour ce travail qu’ils font déjà sans contrepartie…
Enfin, un volet du nouveau pacte est réservé aux innovations pédagogiques : ce qui reviendrait plus ou moins à accroitre le volume d’I.M.P ou à articuler ces financements avec les projets d’établissements ou les nouveaux dispositifs d’auto-évaluation des établissements. Pour le SNCL il s’agit d’une mesure anecdotique et inégalitaire qui devrait en moyenne apporter moins de 5000 euros par établissement et par an, somme dont très peu d’agents verront la couleur…
En conclusion
La revalorisation inconditionnelle des enseignants aura lieu, bien que plus tardivement qu’annoncée, et sa nature exacte est encore soumise à de nombreux arbitrages qui pourront faire la différence entre une bonne mesure et un saupoudrage inopérant. Le SNCL restera vigilant et vous informera tout au long du processus.
Dans le même temps, le « nouveau pacte », sous ses aspects grandiloquents, ressemble plutôt à un bricolage d’urgence afin de répondre aux pénuries de professeurs et diminuer l’absentéisme des enseignants qui, bien que plus bas que celui de tous les autres fonctionnaires, n’a jamais bonne presse chez les familles. Impossible de voir en lui une chance d’amélioration de carrière ou d’attractivité du métier.
De plus, le SNCL rappelle que l’efficience de ces deux approches devra aussi être évaluée par rapport à l’évolution du point d’indice, celle-ci devant se poursuivre dans le contexte actuel d’inflation. Dans le cas contraire, le gouvernement ne fera que rendre partiellement aux professeurs ce qu’ils auront par ailleurs perdu en pouvoir d’achat.
Enfin, rappelons que la réforme des retraites reste à l’ordre du jour et que celle-ci pourrait porter sur le long terme un autre coup au portemonnaie et à la santé de tous les professeurs. Le SNCL fera tout pour défendre notre système de pension actuel.