Face à la crise persistante du recrutement dans l'Éducation Nationale, et plus particulièrement à la pénurie alarmante de professeurs de lettres modernes, certaines académies, dont celle de Dijon, sont contraintes d'imaginer des solutions d'urgence. Cependant, les dernières pistes explorées, annoncées fin mai / début juin, ont déclenché l'indignation des organisations syndicales, dont le SNCL qui y voit une dérive dangereuse pour la qualité de l'enseignement et les conditions de travail.
Jusqu'à présent, les discussions tournaient autour de la réaffectation de professeurs de lettres classiques vers des postes de lettres modernes en collège. Mais ce qui a été dévoilé il y a quelques semaines va bien au-delà : l'administration envisagerait désormais de permettre à des professeurs titulaires de n'importe quelle autre discipline de réaliser des remplacements en français. La seule condition ? Avoir suivi des études littéraires à un moment de leur parcours universitaire et passer un simple entretien de 30 minutes.
La "solution" de la dernière chance : une interview pour enseigner le français
Concrètement, un enseignant d'histoire-géographie, de philosophie, d'anglais, voire de sciences (s'il a une licence de lettres par exemple) pourrait, après une courte validation de ses "compétences littéraires" via un entretien d'une demi-heure, se voir confier des classes de français au collège ou au lycée. L'objectif est clair : combler les trous de service, assurer la continuité pédagogique face à l'incapacité de pourvoir tous les postes de titulaires ou de contractuels qualifiés.
Pour le SNCL, cette réponse va au contraire conduire à une aggravation ! La mesure est un signal alarmant et une déqualification inacceptable du métier de professeur. Le syndicat dénonce avec véhémence le procédé qui, loin de résoudre la crise, ne ferait que déplacer le problème et le démultiplier vers d'autres disciplines et niveaux d'enseignement. En effet, si un professeur d'histoire-géographie est "redéployé" pour enseigner le français, qui va enseigner l'histoire-géographie ? Cette mesure risque de créer des manques et des suppressions de postes masquées (car saupoudrées) dans les disciplines d'origine des enseignants concernés. Le problème de pénurie n'est pas résolu, il est simplement "déporté" d'une discipline à l'autre, voire amplifié, en jouant sur les délais de remplacement et la patience des familles.
Le syndicat s'insurge en outre contre l'idée qu'un simple entretien de 30 minutes puisse remplacer la formation didactique et pédagogique spécifique des professeurs de lettres, ainsi que l'exigence des concours de recrutement (CAPES ou Agrégation). Enseigner le français ne se résume pas à avoir une "culture littéraire" ; cela exige une maîtrise des programmes, des méthodes d'enseignement de la lecture, de l'écriture, de la grammaire, de l'analyse littéraire adaptées à chaque niveau scolaire. De plus, un professeur "polyvalent" malgré lui devra s'adapter à deux disciplines distinctes, avec des préparations, des corrections et des attendus différents, augmentant considérablement sa charge de travail et le risque de "mal-être" professionnel, les enseignants déjà en poste étant bien souvent à flux tendu.
Le SNCL alerte sur les conséquences pour les élèves, notamment en matière de qualité d’enseignement. Sans une formation didactique solide dans la discipline enseignée, la qualité des cours de français risque de s'en trouver dégradée, impactant directement les apprentissages fondamentaux, notamment en collège dans les groupes de besoin du "Choc des Savoirs".
Pour le syndicat, ce "colmatage" est une fuite en avant, et la preuve que le ministère refuse de s’attaquer aux causes profondes. Plutôt que de s'acharner sur des mesures d'urgence, le ministère devrait prendre le problème à la racine : la crise d'attractivité du métier d'enseignant, les rémunérations trop faibles et la dégradation des conditions de travail. L'annonce de cette possibilité pour des professeurs de toutes disciplines de basculer vers le français après un entretien sommaire n’est finalement qu’un aveu d’impuissance et un pari risqué sur la qualité des enseignements, face à une crise de recrutement qui nécessite des réponses structurelles et non de simples "jokers" pédagogiques.